Hypnose à Angers
Hypnothérapeute - Thérapie énérgétiquePascal Brouard
1 – Le meilleur !
Psychiatre et psychologue américain, Milton Hyland Erickson (1901-1980) est célèbre pour sa pratique innovante de l’hypnose, à qui il a laissé tout un courant d’ailleurs appelé « hypnose éricksonienne ». Les nombreuses personnes qu’il a pu inspirer tout au long de sa vie, sa pratique et son enseignement sont autant de témoins pour le considérer comme le meilleur hypnothérapeute de l’histoire de l’hypnose.
Très productif en articles sur le sujet de l’hypnose, il n’a cependant jamais écrit de livres sur la méthode qu’il a mise au point. Son enseignement nous reste donc grâce à ses proches élèves que furent Jay Haley, Ernest Rossi, Jeffrey Zeig, Stephen Gilligan ou William O’Hanlon, et cet héritage est si important qu’aujourd’hui, la plupart des hypnothérapeutes sont initialement formés à l’hypnose éricksonienne. Et même dans des branches de la psychologie comme la PNL (programmation neurolinguistique), la thérapie familiale ou les psychothérapies brèves, son influence est manifeste.
En fait, si Erickson n’a jamais écrit de livres sur sa méthode, c’est qu’il la disait en constante évolution. Impossible, donc, de la coucher sur le papier, de la figer dans une terminologie immuable.
Mais au-delà de ses techniques, multiples et fascinantes, dont chacun de ses étudiants s’est approprié une facette sans jamais en saisir la totalité dans une harmonie globale, c’est aussi son état d’esprit qui interpelle. On se souvient de lui, à la fin de sa vie, celui qu’on appelait le « magicien du désert », pouvant faire grossir des poitrines féminines, guérir des maladies auto-immunes, ou encore soigner l’eczéma. Quand bien même la poliomyélite le ravageait à la fin de sa vie, il a continué à travailler. Ses séances pouvaient durer de quelques minutes à plusieurs heures, selon ce qu’il jugeait nécessaire. Ses outils étaient la voix, son esprit, mais le plus important restait les ressources intérieures des patients. Et pour cela, sa méthode ne pouvait être figée puisqu’il devait l’adapter à chaque personne, à chaque psychologie, à chaque réaction.
S’il est aujourd’hui regardé comme le meilleur hypnothérapeute, c’est d’abord par l’intuition thérapeutique dont il a fait preuve tout au long de sa vie. Cela lui a donné la possibilité de mettre au point un nombre considérable d’approches stratégiques diversifiées en fonction des patients. En second lieu, non seulement Erickson connaissait les techniques de l’hypnose, mais en plus il les maîtrisait mieux que quiconque. Ainsi, il restait constamment attentif aux détails chez le patient tels que les mouvements des yeux, le rythme de la respiration, les mimiques du visage à l’énoncé de certains mots. Et tout cela en même temps, bien sûr ! Face à ces informations fournies involontairement par le patient, il savait s’adapter immédiatement ; il savait également orienter son patient dans la direction qu’il estimait stratégique sans lui imposer son choix personnel. Enfin, Erickson était peut-être malade en fin de vie, mais il a toujours eu une condition physique qui lui permettait d’entrer en état d’hypnose en même temps que son patient. Rappelons que la pratique de l’hypnose par le thérapeute implique que lui-même entre en transe hypnotique pour travailler avec le patient sous hypnose. Et c’est assez épuisant. Or, Erickson a toute sa vie pu le faire, parfois même plusieurs heures d’affilée, de toute façon tous les jours ou presque. Il lui arrivait de procéder à des séances de dix heures, pendant lesquelles, bien entendu, il ne quittait pas son patient, et pendant lesquelles il était lui-même en hypnose, et pourtant attentif au moindre détail d’attitude ou de mouvement du patient pour le guider et adapter son travail. Autant ce dernier en ressortait fatigué, autant le praticien restait en forme après ces séances !
Par son inspiration créatrice, son humilité, son endurance, ses capacités extraordinaires et son parcours professionnel, Erickson est aujourd’hui considéré comme le meilleur hypnothérapeute de tous les temps.
2 – Une enfance campagnarde
Erickson est né en 1901 dans le Nevada, dans une petite ville minière qui n’existe plus aujourd’hui. Pour y élever leur nombreuse famille (neuf enfants), ses parents s’installent un peu plus tard dans une ferme dans le Wisconsin. Tout le monde participe aux travaux de la ferme et le jeune Milton commence à envisager de rester dans l’agriculture à l’âge adulte. Mais quand il a dix-sept ans, sa vie se brise : il contracte la poliomyélite, se voit contraint de s’aliter, et les médecins annoncent à ses parents qu’il ne survivra pas le lendemain. Milton demande alors à sa mère d’installer son lit devant la fenêtre afin de voir son dernier coucher de soleil. Ainsi installé, totalement absorbé par la contemplation du soleil, il entre dans un état de transe. Il ne voit plus que la boule rouge qui descend vers l’horizon, son esprit faisant complètement abstraction des arbres et de tout ce qui constitue le paysage.
De sa transe, il entre dans le coma trois jours durant. Et du coma, après ces trois jours, il revient de la mort… Son corps est paralysé, il ne peut que voir et parler, mais Milton est vivant. Il reste ainsi pendant plusieurs mois, n’étant plus capable que d’observer le monde autour de lui sans y prendre part. Il regarde sa plus jeune sœur apprendre à marcher, il regarde les gens se parler entre eux, la manière qu’ils ont de faire parler leur corps pas toujours en accord avec leurs mots. Il regarde dehors, les travaux de la ferme, les plantes qui poussent. Il se regarde lui-même, aussi – pas avec ses yeux, mais avec son esprit – en examinant ses sensations, le moindre mouvement automatique de son corps. Et il se demande comment reprendre le contrôle de ce corps qui ne semble plus jamais vouloir lui obéir.
C’est ainsi que Milton Erickson vit ses premières expériences hypnotiques sans avoir jamais entendu parler d’hypnose. Dans la focalisation et la contemplation de son environnement extérieur avec toute la curiosité de son jeune âge, il aiguise son sens de l’observation. En expérimentant chacun de ses ressentis les plus infimes, en tentant d’appréhender et reproduire ces petits mouvements automatiques, il parvient très progressivement à se réapproprier et à rééduquer son corps. Dix-huit mois après le jour où il est devenu paralytique, après le diagnostic de mort certaine et imminente par le médecin, Milton marche avec des béquilles. Il comprend bien évidemment qu’il ne pourra pas devenir cultivateur et reprendre la ferme familiale, mais son expérience médicale en tant que patient lui ayant permis d’entrevoir les liens entre l’esprit et le corps lui donne envie, à vingt ans, de s’inscrire à l’université de médecine pour y suivre le cursus de psychologie.
Bien qu’Erickson ne soit pas resté dans son environnement de campagne, il en conservera toute sa vie l’esprit pratique, concret, un rapport à la terre bien ancré. C’est très clair dans la manière dont il défend l’approche naturaliste en hypnose. Il écrit en 1958, dans un article, ceci : « Par approche naturaliste, on entend l’acceptation et l’utilisation de la situation rencontrée sans tentative pour la restructurer psychologiquement. En procédant ainsi, on s’appuie sur le comportement et on l’intègre à l’induction de transe, au lieu de le considérer comme un obstacle. »
On retrouve également ce trait de caractère concret et pratique, en lien avec sa campagne natale, dans sa souplesse, son adaptation à tout interlocuteur, tout patient, quelle que soit son origine ou sa pathologie. Il comprend les âmes, leur langage, verbal ou non verbal, et il se les approprie le temps d’une séance afin de mieux communiquer avec leur inconscient. Et Rossi d’écrire : « Erickson et moi-même avons considéré “ l’implication ” comme l’aspect essentiel de la dynamique de la suggestion, étant donné que ce n’est pas tant ce que dit le thérapeute, mais ce que fait le patient de ce que dit le thérapeute, qui est important. (…) Le thérapeute ne fournit qu’un stimulus ; l’aspect hypnotique des implications psychologiques est construit, à un niveau inconscient, par celui qui écoute. » C’est au moyen de leurs propres mots qu’Erickson peut toucher les patients au plus profond d’eux-mêmes, afin d’animer leurs propres processus adaptatifs.
Mais, les pieds bien ancrés dans la terre de sa campagne natale, Erickson n’en avait pas moins la tête dans les étoiles, comme nous allons le voir à présent.
3 – Le thérapeute-patient
L’hypnose est un moyen d’accéder à des états modifiés de conscience (EMC). C’est peut-être pour cette raison qu’Erickson s’est très rapidement passionné pour l’hypnose : il y retrouvait les états de conscience qu’il avait expérimentés pendant sa longue période de paralysie.
Particularité parmi toutes ses particularités : Erickson est daltonien. On pense souvent qu’il s’agit d’une anomalie physiologique qui impose la confusion des couleurs (le daltonien prendrait le rouge pour du vert et inversement), et que donc, cela n’engendrerait qu’un problème de vocabulaire. Mais il n’en est rien. Le daltonisme est causé par une anomalie au fond de la rétine : la rétine est normalement recouverte de trois types de cônes, chaque cône recevant telle ou telle longueur d’onde correspondant à telle ou telle couleur, mais dans le cas du daltonisme, il manque un ou plusieurs types de ces cônes de perception, et la personne ne peut donc pas voir les nuances dans les couleurs concernées.
Souvent, le daltonien utilise son handicap à son bénéfice (inconsciemment) : moins apte à percevoir les couleurs, il doit développer une vision différente, et s’attarder sur les textures (qu’il voit mieux que nous), les volumes, les surfaces. Bref, il aiguise un sens de la vue un peu différent, mais tout à son profit. Et petite anecdote amusante, les daltoniens ne voyant pas les couleurs de la même façon que nous, ils les apprécient également différemment, moins conventionnellement. Ainsi Erickson entretient-il un amour particulier pour le violet dont il remplit son cabinet.
Du fait de son daltonisme, il est probable qu’Erickson porte un regard très personnel sur le monde. Mais, pour compléter le tableau de cet homme atypique, ajoutons qu’en plus, il était amusique : « amusique » désigne la personne qui est dans l’incapacité, à cause d’une anomalie neurologique, de percevoir le rythme et le sens d’une mélodie. Pour n’importe qui, ce handicap est quasiment impossible à appréhender. Comment perçoit-on le monde quand on est amusique ? J’ai récemment participé à une soirée silencieuse à la Cité des sciences de Paris. Les visiteurs recevaient tous un casque sur lequel ils pouvaient choisir l’ambiance musicale qui leur convenait parmi toutes les ambiances créées sur place par les DJ.
Vers minuit, on pouvait voir la plupart des visiteurs en train de danser sur la piste de danse installée en face de la passerelle centrale où étaient suspendus un planeur et un hélicoptère. Si j’essaie de me placer dans la peau d’un amusique, je me vois projeté dans une scène complètement surréaliste : il suffisait d’éteindre le casque pour entrer dans une zone de pur silence au milieu d’une foule en train de bouger, de danser dans tous les sens, chacun selon le rythme qu’il avait choisi dans son casque. Au début, on ne voit que confusion dans les mouvements sans qu’aucun rythme harmonieux soit perceptible. Le chaos. Puis, à l’observation, on commence à distinguer des personnes qui dansaient de la même manière, bien qu’éparpillées au milieu de tous les danseurs. Les canaux de diffusion des ambiances musicales étant limités dans le casque, on finit par trouver une certaine logique parmi les danses. Et on se rend compte que les personnes qui dansent de la même manière, donc qui sont branchées sur le même canal, semblent se regrouper involontairement pour danser ensemble.
Est-ce que mon expérience s’apparenterait à ce que vivait Erickson au quotidien ? Nous ne le saurons jamais, mais toujours est-il que les études de Rossi prouvent qu’Erickson travaillait avec les rythmes ultradiens. Pourtant, les recherches sur les rythmes ultradiens sont plus récentes (certains de leurs auteurs ont reçu le prix Nobel de médecine en 2017) que la mort d’Erickson (je le rappelle, en 1980). Il est déroutant de prendre conscience qu’un homme avec une vision anormale et une perception des rythmes différente ait pu ainsi introduire ce nouveau concept dans le domaine de l’hypnose.
Toutefois, il ne s’agirait pas de réduire Milton Erickson à ses handicaps ! Je pense en effet qu’il a été lui-même son premier patient, et que c’est à partir de l’observation de ses réactions qu’il a construit son approche utilitariste tout au long de sa carrière.
Il écrit en 1965 que « le comportement du patient fait partie du problème qui est amené dans le bureau ; il constitue l’environnement personnel au sein duquel la thérapie doit prendre effet. (…) Puisque tout ce que le patient apporte dans son bureau est, d’une certaine manière, à la fois un aspect de lui-même et une partie de son problème, le thérapeute se doit d’évaluer la situation dans son ensemble d’un œil compatissant. » Il émet là son idée sur l’utilisation du symptôme dans l’hypnothérapie, et cite ensuite le cas d’un patient d’une trentaine d’années, interné depuis six ans dans un hôpital psychiatrique et incapable de dire quoi que ce soit d’autre d’intelligible que « Bonjour, je m’appelle George ». Le contact avec cette personne semble impossible, il utilise un langage qu’on appelle « une salade verbale ».
Pourtant, en étudiant ce langage, le psychiatre réussit à parler comme lui et à entrer en communication. D’abord en salade verbale, puis en anglais correct. Il faudra un an à Erickson pour aider George à progresser, à finalement pouvoir quitter l’hôpital psychiatrique et trouver un travail.
Mais revenons à Erickson plus jeune, en 1923, après une aventure de 2000 kilomètres en canoë sur les lacs du Wisconsin. Il marche à nouveau sans béquilles, a retrouvé une certaine santé et se marie. C’est à ce moment-là qu’il prend pour la première fois part à un séminaire d’hypnose.
4 – À l’université
Élève du professeur d’hypnose Clark L. Hull, Erickson prend connaissance de tout ce qui se sait sur l’hypnose. Quelques années plus tôt, on avait assisté en France à un important débat en la matière entre médecins et neurologues de l’école de Paris (avec Jean-Martin Charcot par exemple) et de l’école de Nancy (avec Ambroise-Auguste Liébeaut et Hippolyte Bernheim entre autres).
Pour simplifier le sujet de la polémique, disons que pour les uns l’hypnose serait issue de la suggestion, donc de l’idée qui est donnée. C’est par l’augmentation du niveau de suggestibilité que le sujet entrerait en transe. Plus le niveau de suggestibilité est élevé, plus le sujet serait enclin à se conformer aux consignes. C’est le caractère automatique de l’action qui importe ici, c’est-à-dire son exécution indépendante de la volonté du patient, et parfois même inconsciente. Le patient agit comme en état somnambulique ou comme un automate.
Pour les autres, dont Charcot de la Salpêtrière à Paris, la force de l’hypnose ne reposerait pas sur les suggestions, mais sur les modifications physiobiologiques qu’elle entraîne. C’est Charcot qui a réhabilité l’hypnose comme sujet d’étude scientifique en 1882.
En ce qui concerne Clark Hull, le professeur d’Erickson, il se place du côté de la suggestion et cherche donc à définir les meilleurs protocoles dans le but d’aborder le plus scientifiquement possible le phénomène. Mais Erickson n’est pas satisfait de cette pratique, et la délaisse assez vite. Il choisit d’explorer de nouvelles méthodes d’induction pour expliquer cet état jusqu’ici encore bien obscur, et pourtant si familier pour lui.
En 1948, voici ce qu’il écrit quant à la suggestion : « La considération suivante porte sur le rôle global de la suggestion en hypnose. On avance trop souvent, de manière mal fondée et injustifiée, que, comme l’état de transe est induit et maintenu par la suggestion, et comme les manifestations hypnotiques peuvent être suscitées par la suggestion, tout ce qui se développe en hypnose doit nécessairement être entièrement le résultat de la suggestion et fondamentalement une expression de celle-ci. En réalité, c’est tout le contraire de ces perceptions erronées (…) L’induction et le maintien d’une transe permettent de disposer d’un état psychologique spécial dans lequel le patient peut réassocier et réorganiser ses complexités psychologiques internes et utiliser ses propres aptitudes d’une manière qui est en accord avec ses expériences de vies personnelles. L’hypnose ne change pas les gens (…) Elle sert à leur permettre d’en apprendre plus sur eux-mêmes et de s’exprimer d’une manière plus adaptée. »
On voit ici qu’Erickson, alors jeune étudiant, veut libérer l’hypnose de ses protocoles et de ses règles, et même de son appellation : il a mis en œuvre une même expérience auprès d’étudiants en la présentant une fois comme un exercice d’hypnose et une autre fois comme un test de concentration pour voir jusqu’où le mot « hypnose » pouvait avoir une influence en suggérant le résultat attendu. Son observation est claire, le fait d’annoncer qu’il s’agit d’hypnose facilite le phénomène, mais on arrive également à l’hypnose même en parlant de concentration. On peut donc parvenir à un état d’hypnose par une manière détournée de la suggestion.
D’ailleurs, le plus gros frein à la recherche sur l’hypnose à l’époque est justement l’utilisation de la suggestion. Cette pratique, mise en place par Freud qui la tenait de Charcot, a certes permis à l’Autrichien de découvrir l’inconscient. Mais il a également compris qu’exposer crûment au patient ce que son inconscient avait manifesté durant la transe hypnotique ne fonctionnait pas, car le patient tombait immanquablement en dépression. C’est en abandonnant l’hypnose que Freud a créé la psychanalyse, par la volonté de mettre au point une méthode douce qui prendrait en compte l’inconscient, mais qui ne chercherait pas à communiquer directement avec lui. Ainsi le psychanalyste est-il à l’écoute du langage de son patient (associations libres, lapsus, rêves, etc.) pour percer à jour ce qui a été refoulé et qui est la cause du symptôme.
Mais en ce qui concerne l’hypnose pure, l’hypnothérapeute n’avait jusque-là que la suggestion comme outil. Certes, la suggestion avait prouvé qu’elle pouvait être efficace, mais elle se confrontait à deux problèmes. D’abord, certains patients n’y répondaient pas du tout. Comment rendre scientifiquement crédible une thérapie qui ne fonctionne pas sur la plus grande partie des patients ? Autre problème, et non des moindres, la suggestion hypnotique directe n’est pas efficiente dans la durée. Si un hypnotiseur de spectacle convainc son sujet qu’il évolue dans un film d’action, et s’il ne le réveille pas après le spectacle, que se passe-t-il, va-t-il rester indéfiniment dans son film d’action ? Heureusement, non ! Les suggestions directes n’ont pas d’impact dans la durée.
C’est pour cela qu’en ce qui me concerne en tant que praticien, je n’essaie pas de dégoûter du tabac un patient qui veut arrêter de fumer. Il serait écœuré pour quelques jours, et reprendrait la cigarette après ces quelques jours. Au contraire, je provoque une transe éricksonienne, donc fondée sur les rythmes biologiques décrits par Erickson qui encadrent les moments d’activité cellulaire pendant lesquels les fonctions d’apprentissage sont les plus efficaces, et je reproduis la manière de parler du patient qui me permet de m’adresser ensuite à lui avec les mots qui auront le plus d’impact sur lui. Je m’efface, je ne suis plus là, je suis le patient qui s’adresse au patient au moment où il est le plus à même d’instaurer le changement en lui. Il n’y a donc aucune suggestion de ma part, et pourtant l’hypnose est à son maximum d’efficacité. Une séance pour l’arrêt du tabac avec moi, à Paris ou à Angers, dure environ trois heures (cf. https://www.seancedhypnoseparis.fr/arret-tabac).
Revenons à Erickson, et à ce qu’il écrit sur la suggestion directe : « La suggestion directe repose principalement, même si cela n’est pas délibéré, sur l’hypothèse que tout ce qui se produit en hypnose provient des suggestions données. Cela implique que le thérapeute a le pouvoir miraculeux d’effectuer des changements thérapeutiques sur son patient, et néglige le fait que la thérapie résulte d’une resynthèse intérieure du comportement du patient effectuée par le patient lui-même. Il est vrai qu’une suggestion directe peut provoquer une modification du comportement du patient et entraîner une guérison symptomatique, au moins temporaire. Cependant, une telle “ guérison ” n’est rien d’autre qu’une réponse à la suggestion et n’implique pas cette réassociation et cette réorganisation des idées, des compréhensions et des souvenirs qui sont tellement essentielles pour une guérison véritable. »
Cela fait trente ans que ce débat perdurait quand Erickson en prend connaissance, et il se place d’emblée dans une perspective nouvelle en s’appuyant sur les bases des pensées de l’école de Paris et de celle de Nancy auxquelles il intègre la notion d’inconscient.
On a pensé qu’Erickson était résolument en faveur la suggestion directe, mais c’était mal comprendre son travail. Tout ce que nous venons de voir sur la suggestion concernait son utilisation « directe ». Dans l’approche classique de la suggestion, un patient qui consulte pour un problème d’énurésie se verra suggérer, après l’induction hypnotique, quelque chose comme « À partir de maintenant, nous êtes guéris de votre problème, chaque jour vous vous sentirez de mieux en mieux ». Mais d’après Erickson, cela ne marche pas, car la guérison ne sera que la réaction du patient à un déclencheur extérieur, et il faudrait que ce déclencheur soit répété et entendu régulièrement pour réellement modifier le comportement en profondeur. Sans compter que cette suggestion ne fera que masquer le problème sans le résoudre, ce qui pourrait inciter le patient à déplacer le symptôme et donc créer une nouvelle problématique. Si le trouble qui provoque le symptôme ne peut pas s’exprimer sous cette forme, il trouvera toujours un autre moyen de se manifester.
Erickson a alors l’idée de combiner tout ce qu’il a appris à l’université en médecine et en psychiatrie avec ce qu’il a intimement expérimenté au cours de sa convalescence. Jusqu’ici, on n’avait étudié l’hypnose et tout ce qu’elle impliquait que d’un point de vue extérieur. Erickson a ceci en plus des autres chercheurs qu’il a lui-même vécu dans son corps et dans esprit les implications de l’hypnose. Ceci explique peut-être ses intuitions géniales en la matière, sa compréhension intrinsèque des fonctionnements, et donc sa possibilité d’anticiper les réactions des patients aux suggestions directes.
Parce qu’il avait observé que suggérer la guérison n’avait pas d’efficacité sur la durée, et pouvait même se retourner contre le patient par un déplacement du symptôme, Erickson a déduit qu’il était plus puissant de suggérer d’autres choses que la guérison elle-même, mais qui au final devaient déboucher sur cette guérison. Et pour reprendre notre exemple d’énurésie, je vous propose ci-dessous le cas suivant, tiré d’un article de l’hypnothérapeute, qui présente très précisément l’utilisation indirecte de la suggestion directe.
5 – La stratégie d’utilisation indirecte de la suggestion directe par Erickson
Erickson a reçu en consultation deux jeunes mariés atteints d’énurésie. Ils n’avaient jamais osé en parler à l’autre, mais ils mouillaient tous les deux leur lit nuit après nuit.
Ce n’est que neuf mois après leur mariage qu’ils ont enfin osé aborder le problème ensemble, chacun se sentant responsable, et c’est à ce moment-là qu’ils se sont rendu compte qu’ils avaient en fait le même problème. Cela les a rapprochés, et ils ont décidé de consulter ensemble.
C’est par des amis étudiants qu’ils entendent parler d’Erickson. Ils vont donc le voir, précisant d’emblée qu’ils n’ont pas beaucoup d’argent et que pour cette raison, ils ne veulent pas être hypnotisés. Ils insistent toutefois sur l’importance pour eux d’être aidés.
Erickson leur propose alors de manière radicale l’alternative suivante : guérir, et ne pas payer, ou bien payer s’ils ne guérissent pas : « L’auteur les informa qu’il les acceptait comme patients dans un cadre purement expérimental et que leur obligation serait soit de tirer bénéfice du traitement, soit d’assumer la totalité de la charge financière pour le temps qui leur serait consacré. Ils donnèrent leur accord. (Cette inversion du “ Guérissez-moi ou je ne paierai pas‘est souvent très efficace dans la thérapie expérimentale) »
Que penser de cette proposition du psychiatre ?
La thérapie par l’hypnose est fondée sur un rapport. Quand Erickson impose aux jeunes gens de soit guérir et ne pas payer, soit ne pas guérir et payer, il prend le pouvoir. Il doit récupérer le leading que les patients ont en quelque sorte pris en annonçant qu’ils ne pouvaient pas payer et ne voulaient pas être hypnotisés, parce que le thérapeute a besoin du leading pour être efficace (cf. mon article sur le prétalk lors de l’arrêt du tabac https://www.seancedhypnoseparis.fr/pretalk-hypnose-arret-tabac). La proposition d’Erickson n’en est donc pas vraiment une, plutôt un ordre selon lequel il leur impose de guérir. L’enjeu est la place du thérapeute et l’obéissance qu’il impose aux patients. Sa posture autoritaire peut surprendre, pour un hypnothérapeute qui prône pourtant l’approche indirecte… Mais c’est bien parce qu’en fait, il s’agit ici d’une approche indirecte !
En effet, Erickson s’appuie sur la foi des deux jeunes gens et sur leur engagement à guérir. D’une part il leur fait remarquer qu’il serait plus logique, raisonnable et bénéfique pour eux de guérir et ne pas payer que de ne pas guérir et devoir payer. D’autre part, il se dégage, lui, en tant que professionnel, et affirme que, quel que soit le résultat, il sera payé – soit par le succès, soit par un salaire. Enfin, il élimine le premier rapport qui aurait pu se former entre lui et les patients, un rapport de connaissances du fait que ses patients sont des amis d’élèves à lui, en orientant la thérapie dans un sens purement expérimental.
Erickson s’adresse ainsi au couple : « Voici ce que vous devrez faire. Chaque soir, vous devrez boire autant que vous le voudrez. Deux heures avant d’aller au lit, verrouillez la porte de la salle de bains après avoir bu un verre d’eau. Au moment du coucher, mettez-vous en pyjama puis agenouillez-vous côte à côte sur le lit, face à vos oreillers et de manière délibérée, intentionnelle et simultanée, mouillez le lit. Cela va peut-être être difficile, mais vous devez le faire. Puis allongez-vous et endormez-vous, en sachant tout à fait bien que, pour ce qui est de mouiller le lit, c’est fait et terminé pour cette nuit, que rien ne peut le rendre notablement plus mouillé. Faites cela tous les soirs, et peu importe à quel point vous détesterez cela ; vous avez promis, même si vous ne saviez pas sur quoi portait cette promesse, donc vous êtes obligés. Faites cela tous les soirs pendant deux semaines, c’est-à-dire jusqu’au samedi 17. Le dimanche soir, vous pourrez vous exempter de cette tâche : vous pourrez ; cette nuit-là, vous étendre et vous endormir dans un lit sec. »
Rappelez-vous, en hypnose classique, la suggestion courante sur un problème d’énurésie aurait été d’affirmer aux patients qu’ils sont guéris, qu’ils ne mouilleront jamais plus leur lit. Or, on le voit, Erickson fait exactement l’inverse et leur prescrit littéralement leur symptôme. Dans la forme, il est difficile de faire plus direct. Mais dans le fond, il faut d’abord prendre en compte qu’ordonner l’énurésie contre l’énurésie n’est pas la méthode d’Erickson. C’est celle qu’il a employée sur ce couple parce qu’il a eu l’intuition que c’était la bonne à ce moment-là. Nous touchons bien ici la différence fondamentale entre l’hypnose classique qui oriente directement ses suggestions dans le sens du résultat escompté, et l’hypnose éricksonienne qui s’adapte au patient et à sa problématique.
Vous connaissez certainement Messmer, l’hypnotiseur de spectacle. Lorsqu’on assiste à plusieurs séances de ses spectacles, on constate qu’il utilise toujours les mêmes inductions et les mêmes suggestions, quels que soient les spectateurs qu’il fait monter sur scène et cela reste efficace, car nous restons dans le cadre du spectacle. D’ailleurs, le public qui connaît mal l’hypnose ne fait généralement pas la différence entre l’hypnose de spectacle et l’hypnose thérapeutique, qui sont pourtant deux disciplines que l’on ne peut même pas comparer, malgré leur désignation commune. Quand on assiste à un spectacle d’hypnose, on y va pour voir ou vivre une expérience qui sort de l’ordinaire le temps d’une soirée. Quand on consulte un hypnothérapeute, on s’attend à un mieux-être, une amélioration d’un problème, et on veut que cela dure (tout en ayant un certain nombre de résistances évidemment). Ainsi, l’hypnose ne passe pas toujours par l’hypnose, et c’est très précisément pourquoi Erickson a choisi la démarche qu’il a choisie avec ces jeunes gens : il leur a prescrit leur symptôme sans les avoir hypnotisés. Voici ce qu’il en a écrit : « à propos de l’utilisation de l’hypnose (…) l’ensemble de la procédure reposait sur une utilisation indirecte de l’hypnose. »
Les jeunes gens sont arrivés avec un problème qu’ils n’arrivaient pas à résoudre, dont ils ne connaissaient pas la cause, inconsciente, et qui leur procurait de la culpabilité. Erickson choisit de déplacer le symptôme afin de le recadrer : il en change la perspective. Quand un patient vit avec le même symptôme depuis longtemps sans parvenir à en trouver la solution, il finit par penser qu’il a tout essayé et qu’il doit s’en accommoder. Le recadrage apporte une perspective nouvelle, il force le patient à regarder son symptôme autrement. Toujours voir le problème sous le même angle crée un schéma limitant qui nous empêche d’accéder à toutes nos ressources et de voir la solution. Et ainsi, lorsqu’Erickson impose au couple de mouiller son lit avant de s’endormir et volontairement, il lui permet de ne plus se préoccuper de la cause de leur énurésie : à présent, la cause, c’est le thérapeute lui-même !
Les jeunes gens, selon les mots d’Erickson, ont été « forcés par la nature des instructions » à faire un « choix libre spontané de comportement ». Une fois connue et évacuée la cause du problème, il leur restait la question de l’action. Malgré leur promesse de suivre les instructions du psychiatre, allaient-ils le faire ? Quelle allait être leur réaction, une fois en tête-à-tête dans leur chambre : respecter leur engagement ou éclater de rire et s’empresser de tout oublier ?
Erickson a ici basé sa stratégie thérapeutique sur la culpabilité d’énurétique. D’abord, il leur interdit de parler du problème entre eux : les mariés doivent ainsi prendre conscience du manque de communication dans le couple sur le sujet, manque qui joue un rôle important dans leur culpabilité respective. Recadrage de la culpabilité qui, de cachée, devient révélée, et qui, parce qu’elle n’appartient au monde obscur, peut évoluer librement et grandir, apprendre. Erickson explique que pendant les deux semaines de « traitement », les jeunes gens se sont fait « de leur propre chef une réserve de lits mouillés pour le restant de leur vie ». Quand enfin ils peuvent se coucher normalement le soir, ils « utilisent leur culpabilité d’énurétiques » pour se réjouir des draps propres sur le mode du plaisir coupable pendant encore trois semaines.
En quoi avons-nous ici une expérience qui repose sur l’hypnose ? Nous allons le voir avec la fin de la suggestion qu’Erickson a donnée aux jeunes mariés : « Le lundi matin, le 18, vous vous lèverez, vous repousserez les couvertures, et vous regarderez le lit. Si vous voyez un lit mouillé alors, et seulement alors, vous allez vous rendre compte que vous aurez devant vous trois nouvelles semaines à vous agenouiller et à mouiller le lit. Vous avez vos instructions, il ne doit y avoir ni discussion ni débat entre vous à ce propos, uniquement le silence. Il ne doit y avoir qu’obéissance, et vous savez et vous saurez quoi faire. »
Voici une formulation d’hypnose directe. En mentionnant les accessoires tels que les couvertures du lit, Erickson introduit la notion hypnotique dans son discours, il oblige ses patients à se focaliser sur les détails. Et même s’il ne les avait pas hypnotisés au sens formel du terme, il s’était aligné sur eux comme s’il était lui-même entré en transe hypnotique. Et grâce au leading, il avait finalement mis le couple en état d’hypnose sans même qu’il s’en aperçoive.
D’emblée, on pourrait donc dire que le discours d’Erickson dicte aux jeunes gens un comportement très précis et de manière directement. Cependant, la variable « si » (« Si votre lit est mouillé, alors… ») introduit une grande permissivité : leur comportement (accepter le changement ou refaire comme avant) ne relève que du choix des patients. Aujourd’hui, on appelle cette technique le signaling, ou l’art de communiquer avec l’inconscient au moyen de signaux. L’utilisation la plus notoire est l’écriture automatique. Mais le couple a refusé l’hypnose, aussi Erickson a-t-il dû ruser, et quand il énonce les deux possibilités qu’a le couple (accepter le changement ou refaire comme avant), c’est en fait à leur inconscient qu’il s’adresse, et l’inconscient répondra par le signal de « lit sec » pour oui, et « lit mouillé » pour non.
On considère parfois l’inconscient comme un enfant, et c’est ainsi que l’appréhende Erickson quand il écrit que « Pour comprendre ce cas, il pourrait être souhaitable de garder à l’esprit la démonstration que font souvent les jeunes enfants du droit de prendre une décision par eux-mêmes. » C’est d’autant plus probant en ce qui concerne l’énurésie, puisqu’il s’agit d’un comportement enfantin qui n’aurait pas évolué correctement. Erickson force ainsi l’inconscient à grandir et à faire des choix en passant par le plaisir éprouvé par le couple de passer la nuit dans des draps secs, possibilité auparavant masquée par leur culpabilité.
L’hypnose classique aurait peut-être jugé plus facile ou plus rapide de suggérer quelque chose comme « Vous prenez plaisir à dormir dans des draps secs », mais Erickson n’utilise pas le plaisir dans sa suggestion. Il préfère suggérer autre chose qui amènera le couple à découvrir lui-même ce plaisir. Mais la décision de succès (plaisir de se réveiller dans des draps secs) ou d’insuccès (déplaisir de se réveiller dans des draps mouillés) est de la responsabilité de l’inconscient. Plaisir-déplaisir, Erickson se sert de cette dualité comme moyen de dialogue et d’apprentissage avec l’inconscient pour l’obliger à prendre une décision. Les draps mouillés ne sont plus une malédiction, ce sont des outils de communication. Et le dernier mot par Erickson : « L’étape finale pour eux fut ensuite de donner corps à une solution totalement satisfaisante et de leur propre invention, un bébé, la solution qu’ils avaient mentionnée et dont l’évocation les avait amenés à reconnaître mutuellement leur énurésie. »
N’oublions pas non plus qu’Erickson prend également en compte dans sa pratique l’âge des patients et leurs étapes de vie. Lui-même faisant partie d’une fratrie nombreuse et ayant eu huit enfants au cours de sa vie, il perçoit que le fait de surmonter l’énurésie est une véritable étape de vie pour ce couple.
Erickson a une vision globale de son travail et cherche à provoquer des changements durables et plus généraux que la guérison du seul symptôme. On pourrait de manière poétique définir sa pratique comme un oxymore : à chaque patient s’adapte le thérapeute, la seule constante étant le changement. À partir de là, il a inspiré de nombreux courants de thérapies. Si ce que nous venons de voir avec l’énurésie de ces jeunes gens est de l’hypnose, c’en est une forme particulière, qu’on appelle « thérapie ordalique ».
6 – La thérapie ordalique
Jay Haley, lui-même thérapeute hors du commun, explique dans son livre Milton Erickson comment Erickson aime travailler en donnant des tâches à effectuer à ses patients – c’est la thérapie ordalique. Étymologiquement, on retrouve une racine du vieil anglais ordal, qui a donné ordeal, l’épreuve, puis dans le bas latin au Moyen- ge, ordalium, qui désigne le jugement de Dieu. On a même un mot français qui en est issu pour signifier la forme de procès par laquelle l’accusé sortait innocenté par Dieu s’il réussissait les épreuves extrêmement difficiles auxquelles ont le soumettait : ordalie.
Dans le cas d’Erickson, les procédés sont nettement moins violents que pour l’ordalie moyenâgeuse. Cependant, la référence au mot nous rappelle l’approche ultra directive du praticien : les prescriptions sont obligatoires et le patient doit s’y soumettre comme si elles étaient émises par Dieu lui-même. Étrangement, les tâches n’ont souvent aucun rapport avec la problématique du patient, mais il faut comprendre que le fait d’accomplir une tâche assignée par le thérapeute entraîne invariablement une modification dans le rapport du patient à son problème. Mentionnons plusieurs approches du phénomène.
Vous connaissez certainement l’auteur Alejandro Jodorowsky, également scénariste, réalisateur, un créateur polyvalent particulièrement intéressé par la spiritualité et l’inconscient. Jodorowsky a créé un tarot de Marseille qu’il a appelé « psychomagie ». Il s’en sert avec des consultants, en tirant des cartes, en les interprétant à partir des symboles, puis, après avoir écouté la personne, il lui donne pour consigne de réaliser un « rituel psychomagique ».
L’idée, derrière ce concept de psychomagie, est de toucher l’inconscient au moyen des mots, d’inciter la raison à utiliser la langue de l’inconscient à travers les symboles et les actes symboliques. Le consultant doit avoir recours à des photos, des lieux emblématiques, des vêtements particuliers dans une approche artistique. Mais derrière cet aspect proprement artistique se cache toute une dimension symbolique des actions qui donne la possibilité aux souvenirs de se mêler à ces actions pour être finalement interprétées par l’inconscient comme la réalisation du problème.
Je vous donne un exemple. Jodorowsky a proposé à une femme, dont le problème était qu’elle n’arrivait pas à faire le deuil de son père, d’aller danser la nuit sur sa tombe, nue, à la pleine lune, après avoir fait offrande d’un pot de miel et d’un tampon usagé. Chacun des éléments de la proposition était la pendante symbolique d’éléments qui avaient été préalablement mentionnés par la consultante dans la discussion qui avait précédé la prescription. Le tampon usagé, ainsi, renvoyait à la dispute qu’avait eue la consultante avec son père alors qu’elle venait d’avoir ses premières règles.
Jodorowsky est-il un lecteur d’Erickson ? Je ne sais pas, mais sa personnalité et sa pratique me font penser à lui, et surtout le recours à la thérapie ordalique. Le fait de recadrer un symptôme, en le prescrivant avec des modifications de détails, me rappelle également Erickson.
La thérapie ordalique s’utilise également dans un objectif d’apprentissage, qui est une notion fondamentale dans la pratique éricksonienne. Vous l’avez vu précédemment, elle a fonctionné avec ce jeune couple qui souhaitait se débarrasser de son énurésie, et à qui Erickson a appris à se délecter du plaisir d’un lit propre. Mais ce n’est pas tout ce que peut enseigner Erickson ! Aussi, quand un nouveau patient arrive en consultation, il prend le temps (parfois une dizaine d’heures d’affilée) de lui enseigner à entrer en transe, ce qui permet à la personne par la suite de manifester aisément des hallucinations ou de l’écriture automatique qui seront utilisées dans le cadre de la thérapie.
En ce qui concerne sa démarche ordalique, il arrive assez souvent à Erickson d’envoyer ses patients à la bibliothèque, et Jay Haley mentionne ainsi plusieurs consultants qui se trouvaient dans une impasse et à qui Erickson a ordonné d’aller se renseigner en détail sur les mœurs papoues ou la sexualité animale.
L’apprentissage est vraiment une notion importante quand on veut reconnaître l’hypnose thérapeutique de l’hypnose mystique à laquelle certains fanatiques s’attachent un peu trop. L’hypnose est une aide, un soutien à l’apprentissage, mais elle ne s’y substitue pas. De la sorte, Erickson reçoit un jour une jeune femme malheureuse de l’état obèse de son corps qui lui affirme d’emblée qu’elle est « une affreuse grosse dondon que personne ne peut regarder sans être écœuré ». Erickson ne perd pas de temps et lui répond brutalement : « Savez-vous ce qu’est une bibliothèque ? Je veux que vous y alliez pour emprunter des livres d’anthropologie. Je veux que vous regardiez les femmes horribles de toutes sortes que les hommes épousent. Il y a des photos dans les livres de la bibliothèque. Les sauvages des peuplades primitives se marient avec des “ machins‘pires que vous. »
Dans un premier temps, il prend acte de ce que pense la patiente d’elle-même, il accepte sa réalité : elle se trouve très vilaine physiquement et est persuadée qu’on ne peut pas l’aimer. À partir de là, il lui demande d’aller se documenter sur un sujet qui apparemment n’a aucun rapport avec la raison de sa consultation. Erickson a l’habitude de faire durer ces thérapies sur plusieurs séances afin de décomposer le problème en plusieurs problématiques, et en soignant une facette du problème à chaque séance. Son intuition lui dictait de ne pas accorder plus d’une séance par aspect du problème, ce qui serait contre-productif, car chaque nouvelle séance annule la précédente. Il demande donc à la jeune femme d’aller s’informer tantôt sur l’anthropologie, tantôt sur la mode, il l’envoie demander des conseils vestimentaires dans des magasins, etc. Après chaque séance, elle a une nouvelle tâche à accomplir. Erickson estime que l’hypnose ne peut venir qu’en plus du savoir empirique qu’il lui demande d’acquérir et qu’elle ne pouvait pas se forger de critères de beauté personnels sans avoir certaines connaissances de base. Ensuite seulement pourrait-il intervenir pour l’aider à changer selon ses goûts.
Il raconte qu’après un an de ces séances, la patiente a trouvé un poids qui lui convenait. Elle a également décidé de se faire arranger l’esthétique de ses dents, elle a rencontré un compagnon et a trouvé un nouveau travail.
Encore une fois, Erickson ne s’est pas arrêté au symptôme et a eu une vision beaucoup plus globale : du symptôme d’obésité, il a vu plus large et a englobé jusqu’à la vie familiale de la jeune femme. En effet, les patients n’en parlent pas forcément de manière spécifique, mais le thérapeute sait bien que leurs problématiques vont bien au-delà du simple symptôme et s’installent jusque dans leur l’entourage familial, social et professionnel. Il sait également que l’âge du consultant est essentiel et qu’un problème de couple chez une personne jeune n’a pas le même impact que chez une personne mature (par exemple).
Que se passe-t-il si un hypnotiseur, après avoir mis son sujet non anglophone sous hypnose, lui donne la suggestion suivante : « Maintenant, vous parlez anglais » ? Étant donné que l’anglais est fréquemment entendu ou lu dans notre environnement, dans des chansons, sur des publicités, il est possible que le sujet puisse énoncer deux ou trois mots ou phrases en anglais. Mais il ne s’agira que de souvenirs que son esprit aura réunis, ce ne sera en aucun cas un acquis de la langue anglaise : l’hypnose ne peut pas compenser un défaut de connaissance. C’est la raison pour laquelle Erickson utilise l’hypnose comme un outil pour inciter ses patients à apprendre de nouvelles choses, et c’est ainsi qu’il pratique pour aider de jeunes gens sortis trop tôt de l’école pour finalement pouvoir intégrer une université.
La notion d’apprentissage est donc essentielle dans la pratique éricksonienne, mais il passe généralement par une étape de déconstruction créatrice : le chaos, généré par la confusion. Apprentissage et chaos sont indissociables.
7 – Le chaos
Erickson devient docteur en médecine et décroche sa maîtrise de psychologie la même année, en 1928. Il commence par être stagiaire en psychiatrie et doit pour cela arrêter sa pratique de l’hypnose pendant plusieurs années, jusqu’en 1934, quand il devient directeur de la recherche psychiatrique dans un hôpital du Michigan et peut alors reprendre ses recherches.
C’est au cours de la Seconde Guerre mondiale qu’il rencontre Gregory Bateson et Margaret Mead, dans le cadre d’études pour le gouvernement sur les répercussions de la propagande nazie entre autres sujets. Bateson et Mead seront bientôt les fondateurs de l’école de Palo Alto, un mouvement de pensée qui s’attache à utiliser les principes cybernétiques dans le contexte de la thérapie par la communication (nous le verrons plus tard).
Puis, en 1948, Erickson doit déménager à Phoenix pour des raisons de santé. Il s’installe dans un cabinet privé et y restera jusqu’à la fin de sa vie en 1980. Comme tout chercheur, son objectif est de diffuser les connaissances qu’il a acquises sur l’hypnose au cours de ses expériences et sa pratique, aussi fonde-t-il l’American Society of Clinical Hypnosis en 1957. Il rencontre pour cela régulièrement les psychothérapeutes de l’école de Palo Alto.
À mesure qu’il avance en âge, sa santé se détériore et à la fin de sa vie il se trouve paralysé dans un fauteuil, mais il conserve néanmoins la force de travailler, avec sa seule voix pour guider ses patients. De plus, il rayonne si fort qu’il se voit surnommé le magicien du désert.
Magicien, parce qu’on ne comprend pas vraiment sa pratique de l’hypnose, comment elle fonctionne, ce qui se passe au moment de ses séances. Mais c’est exprès ! Il a très tôt mis au point sa technique de la confusion : grâce aux mélanges des temps de conjugaison, aux jeux de mots avec homonymes, sens multiples, aux remarques hors sujet, déconcertantes, il oblige l’esprit du patient à se maintenir dans un constant effort de compréhension. « Ces formulations conduisent progressivement le sujet dans l’état de frustration dans lequel il se trouve à désirer profondément et à attendre un message qu’il puisse comprendre facilement et auquel il puisse aisément donner une réponse. »
Erickson nous relate une expérience qui date de son époque étudiante. Un camarade et lui s’étaient engagés à travailler ensemble sur un projet au laboratoire de physique. Ce projet comportait deux parties et c’était la même qui intéressait Erickson et son camarade. Erickson s’essaie alors à une petite ruse hypnotique sur son ami, à son insu :
« Alors que nous étions en train de rassembler le matériel et les instruments nécessaires à l’expérience et de les regrouper en deux piles distinctes, je lui dis, au moment critique, calmement, mais d’un ton très convaincu : « Ce moineau a vraiment volé vers la droite, puis tout à coup vers la gauche et ensuite vers le haut, et je ne sais pas du tout ce qui s’est passé ensuite. « Alors qu’il me regardait d’un air ahuri, je me saisis du matériel destiné à la deuxième partie de l’expérience et me mis au travail, et lui, perplexe, suivit simplement mon exemple en se mettant au travail avec le matériel destiné à la première partie de l’expérience. Il attendit que l’expérience soit presque terminée pour rompre le silence qui régnait en général quand nous travaillions ensemble : « Comment ça se fait que je fasse cette partie ? Je voulais faire l’autre partie. « Je répondis simplement : « Ça semble s’être fait comme ça, tout seul.
Plongé dans la confusion par les propos totalement déplacés d’Erickson, le camarade a vu son comportement inhibé : alors qu’il s’apprêtait à s’occuper de la partie de l’expérience qui l’intéressait, il a été bloqué dans son action par la confusion. Par la suite, l’étudiant a juste calqué son attitude sur celle d’Erickson qui se mettait au travail avec le matériel qu’il avait devant lui le plus naturellement du monde.
Fort de ces observations dans un tel contexte, Erickson a cultivé la technique dans un but thérapeutique. Quand on utilise la confusion de façon stratégique, on peut inhiber un comportement et surtout mettre en œuvre une démarche innovante de recherche intérieure.
Erickson est tout à la fois très autoritaire et très permissif dans sa manière de faire avec ses patients. Sa forme est autoritaire, ne laissant pas la place au choix quand il oblige à promettre des choses impossibles à tenir via le chantage, comme nous l’avons vu plus haut. Mais le fond est au contraire permissif dans le sens où, par la confusion, il ne fait en réalité qu’ouvrir des voies, mettre en place un endroit où le changement peut avoir lieu. Il n’intervient pour ainsi dire pas dans la résolution du symptôme, il ne fait que créer un environnement favorable à cette résolution.
Si l’on revient au cas du jeune couple énurétique, Erickson n’a pas eu recours à la transe hypnotique, mais il a tout de même utilisé des structures hypnotiques. Le lit sec et le lit humide étaient des signaux pour l’inconscient, et le signaling est un outil de l’hypnose. Même s’il n’y avait pas transe, les jeunes gens étaient bien en état d’hypnose lorsque le thérapeute leur donnait la suggestion. Mais alors, après la séance, qu’en est-il de cette hypnose ? Fonctionne-t-elle encore ?
Erickson s’en est assuré par le biais de la confusion : en prescrivant le symptôme de cette manière, Erickson les plongeait dans la confusion, qui consiste à partir d’un élément tout à fait sensé dans son contexte, de l’extraire et de l’utiliser tel quel dans un autre contexte. Pour un énurétique, le fait de mouiller son lit la lui a du sens, mais pas de le mouiller volontairement avant la nuit. Déplacer cette conduite à un autre moment que la nuit pendant le sommeil apporte une rupture de sens qui plonge dans l’hypnose. On pourrait parler d’état de choc.
Si l’on souhaite examiner de plus près la prescription donnée par Erickson, on voit en premier lieu que se voir ordonner cette tâche libère le jeune couple énurétique de son problème. Ils ne sont plus fautifs, puisqu’un tiers leur demande d’accomplir la tâche de mouiller leur lit.
Ensuite, comprendre la confusion nous permet d’interpréter le phénomène à un autre niveau. L’énurésie se produit au cours de la nuit, pendant le sommeil. Y aurait-il un rapport avec les rêves ? Sans chercher le sens métaphorique du problème (Erickson aurait pu le faire, mais il n’en avait ni le temps ni les moyens étant donné les restrictions posées par le couple), Erickson s’engage dans une voie plus directe : il tente d’inhiber le comportement qui pose problème. Chaque soir, au moment d’accomplir la tâche prescrite, les deux jeunes gens se trouvent face à l’absurdité de la scène et entrent en état de confusion, lequel réactive les suggestions post-hypnotiques émises par le thérapeute : ils entrent alors de nouveau en état d’hypnose afin de bloquer leur conduite énurétique. Ils demeurent certes conscients lors de cet état hypnotique, mais ils entrent toutefois en contact avec leur inconscient. Ils incarnent cette partie de l’inconscient qui les pousse chaque nuit à mouiller leurs draps, et peuvent s’y connecter plus facilement à l’état de veille. De ce fait, petit à petit, leur culpabilité d’énurétiques intègre le confort de dormir dans des draps secs.
Une seule séance. C’est ce dont aura eu besoin Erickson pour semer un tel chaos dans ce comportement énurétique que le couple n’aura pu faire autrement que de choisir de guérir.
8 – Le langage comme outil hypnotique
Dans son ouvrage Le Mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient (1905), Freud s’est penché sur l’humour. Selon lui, l’humour découle d’un processus de condensation avec formation substantive. Nous sommes sans cesse en adaptation à notre environnement, nous devons prendre en compte les contraintes qui se présentent à nous, et nous devons faire avec. Notre comportement spontané doit tout le temps être ajusté (freiné, forcé) pour répondre aux critères de ce qui est socialement acceptable.
Freiner ou forcer une tendance relève de l’effort psychique, ce n’est pas naturel. Mais l’humour fait abstraction de l’effort psychique requis par l’inhibition en ouvrant un mode d’expression symbolique. D’après Freud, on peut rapporter le phénomène de l’humour, par son processus de condensation avec formation substitutive, à ce qui se produit dans les rêves, générateurs de symboles. De plus, Freud affirme que l’humour épargne la dépense affective, et avance l’exemple du condamné à mort qui arrive devant la potence en s’écriant « La semaine commence bien ! » Il ajoute que « l’essence de l’humour réside en ce fait qu’on s’épargne les affects auxquels la situation devrait donner lieu et qu’on se met au-dessus de telles manifestations affectives grâce à la plaisanterie ».
Dans son livre L’Homme de février, qui rapporte une séance d’hypnose expérimentale faite par Erickson, Rossi écrit ceci à propos de l’argot, pour aller plus loin sur le langage :
« Dès qu’un mot d’argot pour le sexe est trop populaire, il devient trop grossier. Alors les gens doivent inventer un nouveau terme argotique qui possède moins d’associations avec le sexe si bien qu’il titille plus. Cela évoque les bases d’une nouvelle théorie de la fonction de l’argot. Les mots d’argot sont des inventions linguistiques toujours renouvelées qui donnent une nouvelle expression aux pulsions, d’une manière qui les libère du poids inhibiteur des malencontreuses associations du passé. Les mots obscènes, d’autre part, sont une attaque agressive sur la structure associative de celui qui écoute : les termes obscènes dérangent et détruisent les attitudes et la vision du monde de celui qui écoute, si bien que le locuteur peut imposer les siennes. En réalité, l’argot commence comme une tentative créative sensible pour exprimer des pulsions nouvelles ou socialement réprouvées. Une fois que le mot d’argot devient populaire, par contre, il se charge de tellement d’associations négatives que la société rattache à la pulsion à laquelle il se réfère, que le terme devient grossier ou obscène. (…)
La langue n’est pas un outil de communication statique, comme certains voudraient le croire. Au contraire, l’invention linguistique est une manifestation de l’évolution de la conscience et de sa lutte perpétuelle pour se libérer des limites et des contraintes qu’imposent les usages du passé ».
Ainsi, on comprend que l’humour est un accès très intéressant sur les mécanismes cachés du langage. Freud avait bien senti que l’humour était une manière de se défendre, d’éviter l’affect d’une situation, mais aussi une possibilité d’exprimer différemment les pulsions inhibées. Si en plus on prend conscience que la personne à qui l’on raconte une blague est d’emblée dans un état d’esprit particulier, attentif, et qu’elle est concentrée pour bien comprendre ce qu’elle doit comprendre, saisir les jeux de mots, les doubles sens, etc., alors on réalise que c’est cette attitude que recherchait Erickson chez ses patients, attendant d’eux qu’ils participent pleinement et volontairement à leur thérapie.
Erickson a parlé assez rapidement de littéralisme pour décrire les personnes en état d’hypnose : elles répondent très directement aux questions et aux suggestions qui leur sont données. Un patient qui n’aura pas de stylo sous la main écrira tout de même si on le lui demande, il fera le geste tout aussi précis que s’il avait un crayon dans la main. Donnez-lui un stylo sans lui faire la suggestion d’écrire, il n’écrira pas, il tiendra le stylo, c’est tout.
Erickson joue sur les mots, sur les homonymes ou le double sens du langage pour induire l’hypnose. En effet, les associations qui doivent être faites pour bien comprendre les sens multiples de l’humour nécessitent l’intervention de schémas mentaux particuliers qui intéressent le thérapeute dans sa pratique.
Toutefois, si Erickson utilise l’humour, ce n’est pas dans le but de faire rire le patient. Comme on l’a dit, le rire est une défense. L’approche utilisationnelle d’Erickson cherche à dévier les recours aux schémas psychologiques préexistants, et on remarque que la façon qu’il a d’utiliser les mécanismes humoristiques lui permet d’éviter le rire. Son ton sérieux et son discours humoristique ne peuvent que produire la confusion chez le patient. De cette manière, il mobilise la conscience et les défenses mentales, il ne supprime pas l’affect, et il donne la possibilité à l’inconscient d’appréhender les messages cachés dans les sens multiples du langage ou dans son littéralisme.
C’est grâce à la synthèse qu’il a faite sur les diverses connaissances dans le domaine de l’hypnose de son époque que Milton Erickson a eu l’idée d’utiliser ainsi le langage comme un outil stratégique dans sa pratique. De la pensée de l’école de Paris, qui voyait l’hypnose comme un état physiologique, et de la pensée de l’école de Nancy, qui envisageait l’hypnose sous l’angle principal de la suggestion et en faisait un phénomène principalement subjectif, Erickson a fait un tout cohérent et structuré. L’hypnose étant un état physiologique, le travail d’observation est fondamental chez Erickson. Déterminer à quel moment le patient entre en état d’hypnose à la seule lecture du compte-rendu d’une séance n’est pas évident. En effet, Erickson sait passer très subtilement d’une communication avec la conscience à une communication à l’inconscient, même dans une même phrase, même sans que le patient s’en aperçoive. Le patient peut ainsi passer de l’état de transe grâce à un seul mot, et en sortir grâce à un autre, par le seul art d’Erickson, son art de manier le langage !
Alors, certes, l’hypnose est un état physiologique. Mais elle est également une expérience très subjective, intimement ressentie de manière très personnelle par chaque patient. « Chaque individu expérimente le processus hypnotique selon ses propres idiosyncrasies. Ces idiosyncrasies subjectivisent le vécu de chaque sujet, ce qui fait qu’il est impossible d’envisager deux expériences hypnotiques semblables. »
Erickson utilise le langage dans deux buts bien précis.
Dans un premier lieu, les propres mots du patient sont repris par le praticien qui les transforme en clés pour stimuler des schémas neuronaux dans son cerveau. Avec les mots du patient, Erickson entre en contact avec l’inconscient de ce dernier, car le thérapeute s’est libéré de la question du sens. Il écoute son patient, mais il n’essaie pas de saisir le sens de ses mots. Le mot devient un vecteur de contenu (la charge émotionnelle qu’il porte), et non un vecteur de sens.
Dans un second lieu, Erickson travaille sur les structures. L’expérience est vécue, les mots en sont la structure pour la dire, ils sont ordonnés d’une certaine manière. L’hypnothérapeute n’a pas pour objectif d’agir sur la substance de l’expérience, il n’intervient qu’au niveau de la structure. Souvenez-vous de quelle manière il a restructuré l’expérience d’énurésie sans rien modifier de son contenu. Comment peut-il le faire dans le langage ?
L’ouvrage The Structure of Magic (La Structure de la magie) écrit par Richard Bandler et John Grinder et publié en 1975 traite de la « magie » d’Erickson, lorsqu’il est surnommé le magicien du désert à la fin de sa vie, quand personne ne comprenait vraiment le fonctionnement de son approche, pourtant efficace. Bandler et Grinder sont deux étudiants qui ont minutieusement étudié le travail d’Erickson. Le premier est mathématicien, le second est linguiste, et c’est sous ces angles qu’ils ont abordé la pratique du psychiatre-hypnothérapeute. De cette étude est née la programmation neurolinguistique, la fameuse PNL. Si la PNL n’a pas recours à la transe hypnotique physiologique et est plus limitée en thérapie que l’hypnose, elle s’intéresse aux structures du langage et se trouve toutefois très répandue parmi les coaches ou dans les entreprises.
Comprendre l’utilisation stratégique des structures du langage
Sans parler de leur contenu, les allégations et les structures cognitives du patient peuvent être représentées par un rapport. Pour donner un exemple, dans le cas où un patient avancerait « Les gens me détestent », on aura l’élément A = les gens, et B = moi. Le rapport serait alors celui de la détestation. Le thérapeute peut alors intervenir sur trois éléments : A, B, et le rapport entre A et B qui sera noté (*).
Le thérapeute pourrait répondre au patient : « Vous vous trompez, il y a certainement des personnes qui vous apprécient, il ne faut pas généraliser “ les gens ” au sens de “ tout le monde ”, car il y a forcément des individus qui ne vous détestent pas. » Mais ce serait alors une tentative d’agir sur le contenu de l’assertion du patient, et cela ne marche pas.
Le thérapeute éricksonien va plutôt interroger, poser les questions qui pourront inviter le patient (sans le forcer) à faire de nouvelles associations inconscientes. Le thérapeute éricksonien va s’intéresser au rapport (A*B). Voici des exemples de questions :
« Les gens, tous les gens, vous détestent en permanence ? » « Ils vous détestent à quel degré ? » « À quel moment de votre vie ou de votre journée les gens vous détestent-ils le plus ? » « Depuis quand les gens vous détestent-ils ? » « Et vous, est-ce que vous détestez les gens ? »
On note que la dernière question inverse complètement le rapport du début. De (A*B) on s’interroge sur (B*A). Quant aux autres questions, elles servent à recadrer les trois éléments, l’un ou l’autre ou plusieurs à la fois. De la sorte, quand il se voit questionné sur « depuis quand », le patient est contraint à prendre le problème sous un autre angle, ce qui peut l’inciter à voir son expérience d’un œil nouveau.
Toutes ces techniques linguistiques, Erickson les utilisait dans un but bien stratégique. Quand il s’agit de structurer une cognition selon le modèle (A*B), on a tout de suite un grand nombre de questions qui s’offrent à nous, et il est difficile de sélectionner la bonne, ainsi que le ton sur lequel l’énoncer, le rythme, etc. La PNL a certes
rendu plus abordables les techniques linguistiques d’Erickson, et elle offre des moyens fort intéressants aux thérapeutes, mais les protocoles de l’approche éricksonienne restent toutefois plus stratégiques.
9 – L’importance de la stratégie
L’hypnose, et surtout son approche particulière, a permis à Erickson de transformer ses maladies en atouts majeurs. Malgré sa polio, son daltonisme, Erickson a été un immense hypnothérapeute et un stratège génial. Terminons cet article par des éléments que nous n’avons que peu abordés jusqu’ici.
L’une des plus belles intuitions d’Erickson a été de se servir de la résistance de ses patients au lieu de vouloir la briser. Il savait utiliser stratégiquement cette résistance comme élément de communication pour provoquer le changement chez les patients. Si un patient ne parvenait pas à entrer en hypnose (résistance), le thérapeute lui demandait d’essayer de changer de siège (déplacement de la résistance). La suggestion implicite selon laquelle le fauteuil serait la cause de l’impossibilité d’entrer en état hypnotique permettait à Erickson de provoquer la dissociation du patient d’avec sa résistance. La résistance subissait le processus de réification, elle changeait de nature : de comportement, elle devenait un objet.
D’autres fois, Erickson commençait carrément la séance par « Comment pensez-vous résister aujourd’hui ? », et transformait de la sorte la résistance en collaboration.
On peut trouver illogique que des patients, qui viennent consulter pour se guérir d’un problème qui les embarrasse, développent des résistances à la thérapie, comme s’ils ne voulaient pas guérir. C’est en fait parce que la pensée de l’être humain se fait à deux niveaux logiques.
Dans son approche, Erickson intègre les paradoxes. Il s’est ainsi occupé d’une femme à l’hôpital qui souffrait de rétention urinaire psychogène. Il lui a suggéré de ne pas s’imaginer devoir se retenir volontairement quand l’infirmière n’arrive pas assez vite. On a là plusieurs niveaux de logique qui sont impliqués : se demander « est-ce que je vais pouvoir me retenir s’il le faut ? » sous-entend que l’on prenne le contrôle volontaire du comportement qui consiste à se retenir. Comme la patiente doit apprendre à se relâcher consciemment, l’inconscient saisit ce paradoxe comme une opportunité d’apprentissage nouveau.
Enfin, pour terminer, parlons un peu des apprentissages, fondamentaux dans la pratique d’Erickson. « Un symptôme est un apprentissage qui prolonge ses effets, dans la répétition, au-delà du contexte spécifique qui lui a donné naissance, alors que la thérapie aménage un nouvel apprentissage susceptible d’effacer le symptôme ».
Avant Erickson, l’hypnose était considérée comme un moyen de résoudre un symptôme, point. Avec Erickson, on voit l’hypnose sous l’angle de l’apprentissage : parce qu’elle apprend, elle permet l’apparition de la thérapie stratégique, de l’hypnose conversationnelle, plus récemment de la nanohypnose de Brosseau, et les recherches sur les rythmes ultradiens de Rossi.
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